Sophie Rohonyi (DéFI): Monsieur le ministre, interrogé mercredi dernier sur la concrétisation du plan d’action de lutte contre la radicalisation dans nos prisons, vous avez affirmé que « d’énormes investissements ont été réalisés ces dernières années dans la formation et la sensibilisation du personnel pénitentiaire » et que « l’encadrement le plus adéquat possible est proposé aux détenus sur la base des informations disponibles et des faits qu’ils ont commis ».
Certes, des sections Deradex et des sections satellites ont été créées pour éviter que d’autres détenus vulnérables ne se radicalisent sous l’influence d’éléments radicaux extrémistes au sein de la prison. Sauf qu’à part être confinées, ces personnes ne bénéficient d’aucun suivi une fois qu’elles ont purgé leur peine, quand bien même elles sont encore radicalisées.
Je vais vous citer l’exemple éloquent de M. Jean-Louis Denis, membre de Sharia4Belgium condamné à cinq ans de prison pour avoir fait de la propagande djihadiste et incité des jeunes à partir en Syrie. À sa sortie de prison il y a un an, cette personne a suivi des cours de langue dans un CVO de Strombeek-Bever, établissement dont le bâtiment accueille une école fréquentée par des enfants âgés de 2,5 à 12 ans, parmi lesquels des enfants victimes des attentats de Bruxelles du 22 mars 2016. Les parents, terrorisés d’apprendre que leurs enfants côtoyaient l’individu dans la cour de récréation, ont dû alerter les associations de victimes des attentats et m’ont alertée ensuite.
Monsieur le ministre, est-il normal que des personnes condamnées pour avoir radicalisé des jeunes puissent entrer à nouveau en contact avec des jeunes, sans jamais avoir suivi de processus de déradicalisation individualisé? Êtes-vous favorable au fait d’assortir les condamnations pour terrorisme de peines accessoires, à l’instar de ce qui est prévu pour les condamnations pour abus sexuels sur mineurs, où la personne, bien qu’ayant purgé sa peine, ne peut plus participer à certaines activités impliquant des mineurs? Où en est-on dans la coordination de la lutte contre le radicalisme avec les entités fédérées et qui doit mener, comme le demandait la Commission Attentats, à un accord de coopération? Quelles mesures ont été et seront prises pour éviter la récidive des détenus condamnés pour infractions terroristes à leur sortie de prison?
Koen Geens, ministre: Madame la présidente, madame Rohonyi, il faut distinguer le suivi durant l’exécution de la peine et le suivi une fois que la peine a été entièrement purgée.
La déradicalisation en prison est une compétence des Communautés en coopération étroite avec les établissements pénitentiaires. On prévoit d’ailleurs de parler de désengagement. C’est ainsi qu’un dry book, un guide pratique, a été élaboré par la Flandre en coopération avec les établissements pénitentiaires et qu’une initiative semblable est en cours au niveau de la Communauté française.
Il ne fait aucun doute que cette coopération entre le niveau fédéral et les entités fédérées doit continuer de se développer. Toutefois, je ne suis pas certain qu’un accord de coopération globale visant toute la lutte contre le radicalisme soit la voie adéquate. Le processus d’élaboration est très lourd et cela vaut aussi pour les adaptations successives. Selon moi, il faut plutôt intensifier et, si nécessaire, formaliser les instruments de coopération, par exemple, avec des initiatives comme le dry book, dans les différents secteurs spécifiques.
Quant au suivi après la sortie de prison, quand la peine a été entièrement exécutée, on se trouve actuellement hors du cadre de la procédure pénale et des mesures judiciaires disponibles. À mon estime, il faudra se pencher sur ce régime applicable à fond de peine pour les personnes condamnées pour terrorisme. Plusieurs possibilités existent. L’extension du régime applicable à certains délinquants sexuels que vous avez évoquée est une des possibilités.
J’insiste sur le fait qu’un suivi reste assuré par les services de renseignement, de police et de sécurité dans les task forces locales.
Sophie Rohonyi (DéFI): Monsieur le ministre, je vous remercie pour votre réponse.
J’entends que plusieurs mesures sont mises en place ou sont en cours au niveau des entités fédérées et que, par conséquent, vous n’êtes pas forcément favorable à un accord de coopération en la matière. C’est regrettable non seulement parce que cette demande a été exprimée par la commission Attentats, mais aussi parce que cela permettrait de mettre en exergue les bonnes pratiques en vigueur au Nord et au Sud du pays et d’en faire bénéficier l’autre entité fédérée.
Je me réjouis que vous soyez favorable à une réflexion sur le suivi des personnes à fond de peine. Je pense notamment à une réflexion sur les peines accessoires. En effet, cela est très important. Pour les familles des victimes, apprendre que leurs enfants ont été amenés à côtoyer une personne qui a été condamnée pour avoir endoctriné des jeunes est tout bonnement insupportable.
Comme je l’ai dit, il s’agit ici de remplir nos obligations suite aux recommandations de la commission Attentas, mais aussi suite aux demandes de la rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
En juin 2018, la rapporteuse est venue en Belgique et a souligné l’absence de programmes spécialisés de déradicalisation (ou de désengagement) personnalisés. Il y a, à mon avis, un gros travail à faire en termes de personnalisation de suivi, que ce soit au sein de la prison comme à la sortie.
Pour le reste, je vous remercie de soutenir la réflexion que nous devrions avoir concernant les peines accessoires. Mon groupe ne tardera pas à revenir avec des propositions plus concrètes.