“Tout Belge qui aura porté les armes contre la Belgique sera puni (de la détention à perpétuité (…) Constitue le fait de porter les armes contre la Belgique, celui d’accomplir sciemment pour l’ennemi des tâches de combat, transport, travail ou surveillance, qui incombent normalement aux armées ennemies ou à leurs services.”
C’est en ces termes que la collaboration militaire avec le régime national-socialiste allemand durant la deuxième guerre mondiale est considérée, en droit belge, comme un crime.
Le Tribunal de Nuremberg a, quant à lui, rappelé que les collaborateurs font partie d’une organisation criminelle et que cette collaboration ne permet en rien de justifier des erreurs individuelles, encore moins de les récompenser!
Pourtant, le Groupe Mémoire nous a alerté, dans le courant du mois de mai 2015, de l’existence de pensions perçues, en Belgique, par des collaborateurs du régime nazi pour service rendu à l’Allemagne. Ces pensions s’élèveraient entre 600 et 1.500 euros. C’est en travaillant sur l’ instauration en Allemagne d’une taxe de 17% sur toutes les les pensions, et en découvrant l’interview d’une femme d’un ancien collaborateur qui voyait ainsi sa pension réduite, que le Groupe Mémoire a mis le doigt, dans les années 2011-2012, sur ce système de pensions totalement incompatible avec nos valeurs démocratiques.
S’il nous est impossible, aujourd’hui, de connaître la liste des bénéficiaires de ces pensions, nous savons en revanche que ces pensions concernent des blessés de guerre mais également des membres de la Waffen SS, puisque l’Allemagne considère depuis 1953 que la SS faisait partie intégrante de l’armée allemande au même titre que la Wehrmacht. Les conclusions du procès de Nuremberg, considérant la SS comme organisation criminelle, ont ainsi été ignorées.
Interpellés et choqués par ce système, nous avons décidé, avec mes collègues, de déposer la présente proposition, l’objectif étant de faire toute la clarté historique sur ce régime de pensions, mais aussi, à terme, d’en obtenir l’abrogation.
Pour y parvenir, nous avons organisé des auditions en Commission, ainsi qu’une mission parlementaire à Berlin en juin dernier.
Lors de cette mission, nous avons pu constater le grand travail de mémoire qui a été réalisé par l’Allemagne pour témoigner de son sombre passé. Une manière d’assumer ses responsabilités mais aussi de sensibiliser les jeunes générations quant à l’importance de lutter contre le populisme et l’extrême-droite.
Il n’empêche qu’à coté de ce travail de mémoire, subsiste de manière assez contradictoire ce système de pensions. Un système, comme je l’ai dit, totalement incompatible avec l’idéal de réconciliation européen mais aussi avec le respect que nous nous devons de témoigner envers les victimes du régime nazi, envers les résistants.
Nos interlocuteurs allemands nous ont expliqué, tant durant cette mission parlementaire qu’en commission, que les bénéficiaires de ces pensions sont en réalité des invalides de guerre, autrement dit qu’ils justifient d’une atteinte à leur santé dans le cadre de la Wehrmacht ou d’une autre organisation pendant la guerre. Selon l’Allemagne, ces pensions – qui peuvent être accordées à des personnes allemandes mais aussi d’une autre nationalité – ne peuvent donc pas être accordées pour le seul fait d’avoir collaboré. C’est ainsi que l’art. 1A de la loi fédérale allemande sur l’organisation sociale aux victimes de guerre a souvent été brandi puisqu’il prévoit que les personnes qui auraient “contrevenu au principe d’humanité ou d’Etat de droit ne peuvent bénéficier de cette pension.”
Il ressort pourtant de plusieurs sources historiques, dont l’ancien mensuel d’extrême droite “BerkenKruis”, qu’il était possible de bénéficier d’une pension sur la base d’un attestation faisant état des années passées en prison, en Belgique, pour faits de collaboration.
Willy Kuijpers, ancien député de la Volksunie et aujourd’hui conseiller communal N-VA, a quant à lui confirmé avoir été responsable d’un service traitant les demandes de pension auprès des autorités allemandes dans les années 70 pour répondre à un problème qu’il considérait comme “social”. Il a ainsi affirmé que “tous les collaborateurs méritaient une pension”, un peu dans la même veine que notre ancien Ministre de l’Intérieur qui considère que “les collaborateurs du régime nazi avaient leurs raisons”.
Dans son ouvrage “Drang naar het Oosten”, l’historien Frank Seberechts démontre, archives à l’appui, que les volontaires du front de l’Est ont bien été impliqués dans des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité.
Enfin, le Ministère fédéral allemand du travail et des Affaires sociales a, pour la première fois, reconnu qu’il n’était “ en principe pas exclu” que “des membres belges de la Wehrmacht ou de la Waffen SS reçoivent des pensions.”
Comme je l’ai dit, un article de loi allemande existe pourtant pour empêcher les collaborateurs de se voir accorder des pensions en cas de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité. Mais que vaut un article si son application n’est pas garantie? A cet égard, l’Ambassadeur de la République Fédérale d’Allemagne auprès du Royaume de la Belgique ne nous a pas rassuré lors de son audition du 28 mars 2017, puisqu’il n’a pas exclu que des personnes aient échappé à l’examen art.1A, même si cet examen était, selon lui, très rigoureux.
Tout porte donc à croire que cet article n’a pas été correctement appliqué. Ceci résulte d’un manque d’échanges d’informations entre la Belgique et l’Allemagne que notre texte souhaite aujourd’hui pallier en mettant à contribution nos deux gouvernements dans ce travail commun de recherche de la vérité historique.
Notre texte vise en effet à solliciter de la Rhénanie du Nord-Westphalie – Land compétent pour l’octroi des pensions – toutes les informations pouvant faire la clarté sur le pensions actuelles et passées. Il vise également à envoyer à ces autorités les données concernant les collaborateurs condamnés en Belgique pour faits de collaboration avec le régime nazi.
Ces pensions ne font l’objet d’échange d’informations que si un gouvernement d’un autre Etat en fait la demande expresse. Saisissons-nous donc de ce dossier en demandant à notre gouvernement belge d’agir auprès du gouvernement allemand en plaidant la fin de ce régime de pensions et en le sensibilisant à l’injustice subie par les victimes du nazisme.
Ce n’est que si cet échange d’informations échoue qu’il conviendra alors de constituer une commission scientifique composée de membres universitaires, comme l’a notamment sollicité le Centre d’études et de documentation Guerre et Sociétés contemporaines lors de son audition. Ce travail historique, scientifique, se justifie d’autant plus au regard de la difficulté de trouver des interlocuteurs spécialisés en la matière. Nous souhaitons également éviter, qu’avec le temps, certaines données finissent par s’égarer.
Notre texte vise également à mettre fin à une injustice fiscale. Il apparaît en effet que ces pensions ne sont.imposables qu’en Allemagne et sont par conséquent exonérées d’impôt en Belgique.
Lors des travaux parlementaires, certains ont remis en cause la nécessité de notre démarche, arguant que les bénéficiaires de ces pensions ne seraient plus que 18. Je leur réponds que même s’il n’y avait plus qu’un seul bénéficiaire, le caractère inacceptable de ce système justifie tout de même que l’on obtienne son abrogation. C’est une question de principe.
Par cette résolution, la Belgique jouera d’ailleurs un rôle pilote dans la réconciliation des peuples d’Europe, à l’heure où l’Europe est constamment tirée vers le bas par les populismes et les nationalismes. Elle permet d’ailleurs déjà à nos pays voisins de s’interroger sur leurs liens avec la collaboration.
Notre texte a donc été voté à l’unanimité en Commission, grâce à l’absence de la NVA dont on connaît les liens parfois ambigus, parfois assumés, avec la collaboration. Il a ensuite été adoptée en séance plénière, appelant ainsi l’Allemagne à corriger, avec elle, cette énième injustice et insulte à la mémoire des victimes du nazisme mais aussi des résistants!