Justice: Des engagements forts du Ministre mais ternis par des imprécisions et des contradictions

Ces 17 et 18 novembre, les députés ont échangé avec le nouveau Ministre de la Justice sur sa politique pour les 4 prochaines années.

Des engagements pour une Justice moderne, informatisée et douée d’un cadre plus important de magistrats et de personnel judiciaire.

Des engagements essentiels pour une Justice jusqu’ici si malmenée, alors que ce pouvoir conditionne l’exercice même de nos droits et libertés. Il doit être en mesure d’empêcher le règne de l’arbitraire, de protéger les plus vulnérables, et d’ainsi contribuer à notre paix sociale.

L’ennui, c’est que ces engagements étaient également portés par les gouvernements précédents. Et on a vu avec quel résultat: une vraie rupture entre le politique et les acteurs de terrain, une justice jugée par beaucoup inaccessible, et un arriéré judiciaire encore trop important.

Le nouveau Ministre a obtenu un refinancement annuel de 300 millions d’euros. Sauf que ces moyens devront correctement être affectés.

J’ai donc fait part de mes déceptions et propositions au Ministre. En voici quelques-unes:

1) Le budget 2021 n’octroie pas les 300 millions car leur répartition sera décidée “dans le courant de l’année 2021.”

J’ai appelé le Ministre à évaluer la charge de travail des cours et tribunaux non uniquement sur la base des afaires sortantes, mais aussi et surtout de la croissance de la population, du nombre de citations, du nombre d’affaires entrantes, des heures prestées, de la complexité des affaires…

J’ai également relevé des contradictions: Exemples:
Ambition d’une Justice plus accessible, mais sans augmenter la rétribution des avocats pro deo, alors que les dossiers pro deo vont augmenter de manière significative avec l’augmentation des seuils de revenus donnant droit à l’aide juridique de deuxième ligne
Ambition de faire des violences sexuelles une priorité, mais sans augmenter le budget des 3 organismes chargés de l’accompagnement thérapeutique des auteurs d’agressions sexuelles (et qui jouent un rôle essentiel en termes de réduction de la récidive).
Le Ministre m’a remercié de l’avoir alerté sur la situation financière dramatique du centre bruxellois et m’a promis d’en tenir compte.

2) Cadre de magistrats:

J’ai appelé le Ministre à :
publier à temps les postes vacants
assouplir les conditions de bilinguisme à Bruxelles, à les supprimer pour les tribunaux unilingues, ou à tout le moins à accélérer les examens du Selor
assouplir la troisième voie d’accès à la magistrature, piste à laquelle le Ministre s’est dit ouvert

J’ai également insisté sur la nécessité de ne pas remplacer les juges par des juristes de Parquet qui n’ont pas du tout la même indépendance.

3) Prisons

Le Ministre entend développer les maisons de transition et créer des maisons de détention “pour des groupes cibles spécifiques.”

Les prisons de petite taille (maisons de détention) seraient donc réservées à certains groupes de détenus (ex. : parents avec enfants, détenus avant leur libération, jeunes délinquants…), et pas aux autres.

Quant aux maisons de transition, elles ne restent accessibles qu’en fin de peine, et ce alors qu’il faut préparer les détenus à la réinsertion dès le début de la peine!

Le ministre entend poursuivre le Masterplan Prisons du Minister Geens, et donc la construction de la prison de Haren et d’autres, et ce sans remettre en cause le recours aux partenariats publics-privés, alors que la France les a abandonné car ne répondant pas aux exigences de transparence et de rigueur budgétaire,

4) Les modes alternatifs de règlement de conflit seront développées

C’est une excellente chose mais j’ai rappelé que dans le cas de violences intrafamiliales, par exemple, la médiation était inappropriée car l’auteur de violences exerce généralement des pressions psychologiques sur sa victime. La Convention d’Istanbul demande d’ailleurs de l’interdire dans ces cas.

Le Ministre m’a répondu que cette question n’était pas tranché au sein du gouvernement mais qu’il était sensible à mon argument.

5) Poursuite de la rationalisation des lieux de justice.

Or, le Ministre Geens a déjà fusionné les sièges des justices paix, avec un impact sur la justice de proximité.
J’ai donc appelé le Ministre à évaluer cette réforme avant de l’élargir aux autres lieux de justice.

6) Augmentation des audiences numériques et écrites

Alors que le Ministre se présente comme un Ministre “de terrain et de dialogue”, il n’a pas attendu de se concerter avec les barreaux et la magistrature pour déposer un texte généralisant les vidéoconférences et les procédures écrites. Or:
Le monde judiciaire a mis en place les normes sanitaires appropriées (distances, masques, aération) pour permettre les audiences physiques essentielles pour les droits de la défense et une actualisation des éléments contenus dans les conclusions des avocats
La plaidoirie est un élément indispensable de la profession d’avocat
Les audiences publiques sont prévues par l’article 148 de la Constitution et sont une garantie démocratique essentielle

Le Ministre a refusé de répondre à mes questions, notamment sur les effets sur l’arriéré judiciaire d’une remise d’audience en cas de refus de parties de recourir à une vidéoconférence

7) Drogues

Les Chambres de traitement de la toxicomanie (CTT) seront généralisées au sein de tous les tribunaux de première instance.

Elles permettent en effet de diminuert de 80% la récidive.

J’ai appelé le Ministre à aller au bout de la logique et à réglementer la consommation de drogues et à investir dans la réduction des risques avec le Ministre de la Santé, car la toxicomanie est trop souvent à l’origine d’autres délits.

Le Ministre a refusé: “ ce n’est pas dans l’accord de gouvernement.”

8) Institut national des droits de l’homme

J’ai rappelé que les discriminations sur base de la langue sont les seules discriminations à ne pouvant être prises en charge par UNIA, et ce alors que l’institution reçoit en moyenne 135 signalements par an et demande ainsi à pouvoir les traiter.

9) Réforme du Code pénal

La récidive doit être punie plus sévèrement.
Mais il faut aussi tout mettre en œuvre pour l’éviter et investir dans l’accompagnement des détenus pendant l’incarcération et à leur sortie de prison, mais aussi étudier les motifs de la récidive pour agir de manière ciblée.

L’inscription du féminicide est quant à elle conditionnée par des avis d’experts, encore. J’ai donc appelé à ce que cela ne signifie pas un encommissionnement de ce dossier comme pour la dépénalisation de l’IVG.

10) Radicalisme

J’ai insisté sur la coopération des réseaux sociaux dans le retrait de discours haineux mais aussi sur le suivi personnalisé des personnes qui ont purgé leur peine mais qui restent radicalisées, notamment avec des peines accessoires comme l’interdiction de fréquenter des écoles ou maisons de jeunes quand la personne a été condamnée pour endoctrinement de jeunes. Il est incohérent de voir qu’un suivi est assuré quand le détenu est libéré anticipativement, mais pas quand il va à fond de peine.

Le Ministre prévoit également un guichet unique pour les victimes d’attentats terroristes.
J’ai salué la mesure tout en regrettant qu’elle arrive trop tard pour les victimes des attentats de Bruxelles puisque les délais pour introduire les demandes d’indemnisations sont passés, et ce sans que toutes les victimes aient pu faire le nécessaire à temps, faute d’informations.