Depuis sa création, DéFI a toujours été attentif à la question de l’accès à la justice.
C’est pourquoi nous avons activement participé au débat relatif au projet du gouvernement MR/N-VA de réorganiser les justices de paix et qui a été adopté ce jeudi 21 décembre.
Ce projet de loi réduit le nombre de cantons judiciaires de 187 à 162, soit une diminution de + de 13% des justices de paix, alors qu’une diminution de 10% était suffisante pour répondre au cadre actuel. Autrement dit, pour répondre à l’impossibilité pour le gouvernement actuel de remplir le cadre légal des magistrats et du personnel judiciaire, le projet de loi entérine le sous-investissement du gouvernement fédéral dans la Justice en faisant le choix d’une réduction plus importante que nécessaire des justices de paix afin de disposer d’un juge de paix de canton.
Nous avons interpellé le Ministre sur ce choix économique qui occulte la réalité des cantons judiciaires.
Le Ministre prétend avoir tenu compte d’une longue liste de critères: la charge de travail des justices de paix mais aussi le nombre d’habitants, la présence d’hôpitaux et d’établissements pour malades mentaux, la situation l’état et le statut des bâtiments existants, l’activité économique de la région, la superficie du territoire, et la législation linguistique.
Cette réponse ne tient toutefois pas la route pour plusieurs raisons.
Premièrement, cette liste exclut d’autres critères pourtant déterminants pour évaluer la nécessité, ou non, de maintenir un siège en fonction des besoins pour la population. Ainsi en est-il de l’indice de pauvreté, de la pyramides des âges ou encore l’accessibilité du palais de justice en transports en commun.
Pire, à aucun moment donné lors des débats, nous avons été en mesure d’obtenir un schéma détaillé et concret de tous les éléments qui ont conduit à l’adaptation de la carte judiciaire. Par conséquent, il nous est impossible de savoir comment les critères qui ont guidé la présente réforme ont été appliqués et pondérés.
Ce manque d’information est d’autant plus critiquable que nous avons pu faire la démonstration en Commission que l’évaluation qui avait été opérée ne tenait pas compte de la réalité du terrain. C’est ainsi que la majorité a dû revoir sa copie concernant la suppression initialement proposée du canton d’Auderghem/Watermael-Boitsfort, suite à une importante mobilisation des présidents du tribunal de première instance de Bruxelles et des citoyens concernés. La majorité s’est en effet rendue compte que cette suppression ne tenait compte ni de la charge de travail des cantons d’Uccle et Etterbeek vers lesquels la charge du canton supprimé basculerait, ni de l’implantation du nouveau complexe hospitalier à Delta.
Ce projet a été présenté comme celui de l’avenir, celui permettant une meilleure répartition de la charge de travail. Nous avons surtout constaté qu’il était bloqué dans le passé puisqu’il n’a même pas tenu compte de l’évolution des compétences des justices de paix que vous annonciez quelques semaines plus tard dans votre note de politique générale, à savoir le transfert de la compétence en matière du règlement collectif de dettes du tribunal du travail au juge de paix.
Plus fondamentalement encore, la méthode d’évaluation de la charge de travail en tant que telle des justices de paix qui a fondé votre projet de loi est bancale. Elle a été essentiellement fondée sur une moyenne des input et output entre 2010 à 2015 (!), autrement dit des affaires entrantes et sortantes sur la base des statistiques annuelles mises à disposition par le Collège des cours et tribunaux. Or, ces statistiques ne tiennent pas compte de critères comme la complexité plus ou moins grande de ces affaires, par exemple. On est donc loin de l’élément “transparent” et “fiable” que vous nous avez présenté en commission concernant votre mesure de la charge de travail.
Je pense justement qu’il aurait été plus efficace et plus transparent de garder une même méthodologie en tenant compte des nouvelles affaires et des affaires sortantes, c’est évident, mais aussi et surtout de la gestion administrative de chaque canton, l’état de leurs cadres, etc.
Cette absence de juste pondération des critères ayant guidé votre réforme n’est pas un problème tenant à des chiffres mais aux conséquences qu’elle aura pour les magistrats, les greffiers, les avocats et les justiciables. Ces conséquences requièrent d’autant plus votre attention qu’elles concerneront 8% des magistrats du pays, lesquels rendent 40% des décisions rendues en Belgique!
Les suppressions de siège que ce projet opère et les modalités de transfert de causes qui en découleront poseront d’importants problèmes de mobilité pour les justiciables des cantons supprimés, et de report de charge de travail et d’infrastructure pour les cantons qui subsistent.
La “justice sous l’arbre” nous a alors été présentée comme le remède à tous ces maux. Je tiens toutefois à souligner le fait que cette “justice sous l’arbre” laisse extrêmement dubitatif les magistrats, dont les critiques valent a fortiori lorsqu’il n’y a aucun lien territorial entre les communes concernées, comme c’est le cas pour le canton des cinq communes à facilités dont mon premier amendement demande la scission. Une pétition qui a été remise au président hier matin va d’ailleurs en ce sens. Elle a récolté 733 signatures de citoyens des communes de Wezembeek-Oppem et Crainhem qui seront impactés et qui refusent de voir leur justice de paix sacrifiée.
Concernant notre canton de Rhode-Saint-Genèse, le projet de loi prévoyait en effet la suppression du siège de Crainhem, de sorte que les habitants des cinq communes à facilités (Rhode, Drogenbos, Linkebeek, mais aussi Crainhem et Wezembeek) devront tous se rendre à Rhode-Saint-Genèse pour faire valoir leurs droits.
Cette fusion des sièges aura pour conséquence de défavoriser nos amis de Crainhem et Wezembeek qui devront traverser la ville ou emprunter leur Ring mais aussi de surcharger le siège de Rhode-Saint-Genèse qui se retrouvera dès janvier 2020 avec deux fois plus de dossiers à traiter. Il devra également servir de greffe et accueillir les archives de Crainhem, et ce sans aucune augmentation des moyens budgétaires, humains ou en infrastructure à sa disposition.
Nos députés fédéraux Olivier Maingain et Véronique Caprasse ont donc déposé un amendement demandant de scinder le canton actuel de Rhode-Saint-Genèse en deux, l’un concernant les communes de Rhode-Saint-Genèse, Linkebeek et Drogenbos, l’autre concernant les communes de Crainhem et Wezembeek-Oppem, de manière à ce que la réforme n’opère aucun changement dommageable pour qui que ce soit. Une pétition a également été mise en ligne par les mandataires DéFI de la périphérie. Celle-ci a récolté près de 750 signatures.
Malgré cette mobilisation et les entraves claires du projet de loi à une justice de proximité et de qualité, l’amendement DéFI a été rejeté par la majorité MR/NVA.
Nous regrettons ce vote car si une « justice sous l’arbre » nous a été présentée comme permettant la tenue d’une audience par semaine à Crainhem, elle ne reste que purement hypothétique. Et, si elle venait malgré tout à être concrétisée, son coût sera entièrement à charge des communes accueillant le siège restant des cantons également restants. La “justice sous l’arbre” implique en effet une totale réorganisation de la justice de paix, ne fût-ce que pour accueillir les archives du siège supprimé et le bureau du greffe. L’institution d’un seul greffe par arrondissement posera en effet problème en ce que l’on se privera, dans les sièges des justices de paix supprimés, de ce qui doit être le premier contact pour les justiciables faisant valoir leurs droits en justice. Ce n’est pas un détail sans importance car, étant donné que la réforme a essentiellement été dictée par des motifs économiques, comme l’ont souligné le Conseil Supérieur de la Justice, les barreaux (francophone, germanophone ET néerlandophone) et les juges de paix, un gros doute subsiste quant au renfort en infrastructure qui sera pourtant nécessaire.
Or, dans l’état actuel des bâtiments, on ne pourra pas recaser tout le personnel et les archives des justices de paix qui seront supprimées, et ce d’autant plus que l’entreposage des archives pose déjà problème actuellement.
Le projet de loi remet donc en cause la qualité et la proximité de notre justice de paix alors que ce sont précisément ses objectifs. Une telle remise en cause est d’autant plus inacceptable qu’elle se justifie pour des raisons purement économiques.