Ce 19 novembre, le tribunal du travail de Bruxelles a considéré que la disposition du règlement de travail d’Actiris qui interdisait aux membres de son personnel d’afficher « leurs préférences religieuses, politiques ou philosophiques ni dans leur tenue vestimentaire, ni dans leur comportement » devait être supprimée.
Le risque que ce jugement ne constitue un précédent pour d’autres organismes d’intérêt public a relancé le débat médiatico-politique sur l’inscription ou non de la laïcité de l’Etat dans la Constitution.
Ce débat, DéFI le sollicite depuis 2003, date à laquelle le parti déposait pour la première fois sa proposition de révision de la Constitution en vue d’y insérer un article 7ter affirmant que “La Belgique est un Etat laïque, qui garantit la séparation des Églises et de l’Etat, la primauté de la loi civile sur la loi divine, les droits de l’homme, les libertés fondamentales et l’égalité des femmes et des hommes.”
Etant donné que le titre II de la Constitution “Des Belges et de leurs droits” a été ouvert à révision avant les élections fédérales de 2014, cette insertion pourrait avoir lieu sous cette législature, à condition d’être soutenue par les autres partis démocratiques. Or, le 5 mars 2015, DéFI avait sollicité la tenue d’assises de la laïcité à la Chambre des représentants, en présence des représentants de la société civile, des cultes, de la laïcité organisée, des différents réseaux scolaires… demande refusée par ces partis.
Pour DéFI, il n’est donc nullement question de surfer sur des évènements particuliers, mais bien de répondre à la nécessité de permettre à l’Etat d’agir de manière proactive au nom de l’intérêt général, non pas par la cohabitation juxtaposée des religions et des convictions philosophiques, mais par leur adhésion au plus grand dénominateur commun de valeurs.
Il est encore moins question de répondre à un courant religieux en particulier, mais bien d’exiger le renforcement de la démocratie face à toute dérive extrémiste quelle qu’elle soit.
Par ses principes, l’Etat laique se porte garant d’un modèle interculturel, du pluralisme philosophique et du débat démocratique. Son devoir de protéger les libertés entraîne pour l’Etat un droit de contrôle: il doit veiller à ce que la liberté des uns n’empiète pas sur celle des autres. La protection de la liberté religieuse du citoyen implique quant à elle en contrepartie le devoir pour le citoyen de respecter l’espace public qu’il partage avec les autres. La société laïque affirme ainsi que la liberté de religion n’autorise en aucun cas celle de choisir sa source de droit.
Un Etat neutre est par essence un Etat qui s’abstient de tout arbitrage dans des conflits de valeurs contradictoires, l’empêcher de légiférer, par exemple, sur le port de signes convictionnels. Un Etat laïque dispose au contraire d’une mission active de protéger les services publics contre d’éventuelles tentatives de mainmise religieuse émanant de quel mouvement que ce soit.
Certes, la Belgique neutre est devenue l’un des pays les plus progressistes au monde en adoptant la loi dépénalisant partiellement l’avortement, la loi facilitant l’accès à la crémation des défunts, la suppression de l’invocation à la divinité dans le serment judiciaire, la loi dépénalisant l’adultère, la loi relative à l’euthanasie, les lois ouvrant le mariage et l’adoption aux couples de même sexe, la loi sur la transsexualité, etc.
Pourtant, le principe de neutralité a démontré son insuffisance face à la recrudescence des lobbys religieux conservateurs et des mouvements radicaux.
Il est par conséquent essentiel de constitutionnaliser la laïcité de l’Etat, de la hisser au sommet de la hiérarchie des normes. Ce n’est qu’ensuite que l’Etat pourra adopter des “relais législatifs” concrétisant ce principe de laïcité.
L’interdiction du port de signes religieux ostensibles dans la fonction publique disposerait ainsi enfin d’une sécurité juridique. En l’absence d’une telle assise constitutionnelle, la jurisprudence reste aléatoire face aux normes de droit inférieures (règlement d’ordre intérieur, décrets) qui interdisent le port de tels signes, comme l’a encore démontré la récente décision du tribunal de travail de Bruxelles.
La neutralité de l’Etat a d’ailleurs montré les limites de ses effets juridiques dans le cadre de la loi du 1er juin 2011 visant à interdire le port de tout vêtement cachant totalement ou de manière principale le visage (loi sur la burqa). En effet, cette loi a du être justifiée par un impératif de sécurité, plutôt que par celui de la neutralité de l’Etat…!
En conclusion, c’est en fédérant tous les démocrates – croyants ou non – autour de valeurs et repères démocratiques élémentaires, en les mettant sur un même pied d’égalité, que la laïcité constituera la réponse la plus adéquate aux intégrismes de tout bord.