Ce jeudi 17 décembre, la Chambre adoptait le budget 2016 du gouvernement fédéral.
Ce budget concerne tous les départements de l’Etat fédéral, en ce compris celui de la Justice, qui a cette particularité d’être en outre le troisième pouvoir constitué du pays.
Il permettra de concrétiser les projets du Ministre de la Justice développés dans sa note de politique générale. Cette note insiste beaucoup sur les économies qui découleront du Plan Justice, au profit de l’Etat. L’on vante par exemple les mérites de la réduction des justices de paix en termes de suppression des déplacements entre les différents sièges pour les juges et le personnel. Mais cette réduction entraînera au contraire des coûts supplémentaires pour les justiciables.
Ces prétendues économies sont en outre à relativiser. La réforme du droit de la procédure civile et la généralisation des chambres à juge unique qu’elle entraîne implique un investissement très important dans les bâtiments et services de greffes, ce que le projet de budget ne prévoit pas.
La note insiste également tant sur l’autofinancement de la justice (et l’autonomisation de la gestion de l’ordre judiciaire) que sur l’importance de la réinsertion sociale des détenus, laquelle doit prévenir la récidive, comme le souligne la note de politique générale 2016.
A la lecture du budget, l’on se rend pourtant rapidement compte que l’autofinancement de la justice sert de prétexte à une diminution drastique du budget de la Justice, alors que la part du PIB consacré à la Justice est une des plus faibles d’Europe (0,7% contre 2,2% de moyenne) et tend à réduire les budgets de services qui servent précisément à maximiser les chances de réinsertion des détenus (établissement des détenus, suivi psychologique des détenus et en particulier des délinquants sexuels); ne répond pas aux grands défis actuels comme la crise de l’asile, la montée des radicalismes religieux, la lutte contre le terrorisme, le soutien au personnel judiciaire, la formation des magistrats, l’aide juridique et le remplacement des prisons de Forest et Saint-Gilles.
La réinsertion des détenus
Les établissements pénitentiaires ont pour missions d’assurer de manière humaine, constructive et sécurisante la gestion quotidienne de la détention, d’assurer les consultation et les soins de santé aux détenus ainsi que la planification de leur détention et de leur réinsertion.
La question se pose dès lors de savoir comment le Ministre compte remplir ces missions si, dans le même temps, le budget relatif aux dépenses de personnel passe de 402,4 millions en 2015 à 394,1 millions en 2016, sachant que le budget 2013 était de 412 millions. Les conditions de travail des gardiens de détenus sont en effet déjà extrêmement difficiles, de même que les missions qui leur sont déléguées ne cessent d’augmenter, notamment en matière de détection des profils radicaux en prison. Ces conditions de travail ont d’ailleurs été dénoncées par les gardiens de prison de tout le pays lors de leur grève du 18 décembre.
Quant aux frais afférant à l’entretien des détenus, le budget passera de 19 millions en 2014 à 15,6 millions ne 2019, soit une diminution de près de 25% en une législature.
La justification du projet de budget explique que ce crédit a été fixé sur base de la population carcérale moyenne attendue et de la journée d’entretien. Certes, le Ministre parie sur la diminution de la population carcérale qui découlerait de ses deux premiers Pot pourri, mais de l’avis des nombreux experts auditionnés dans ce cadre, ces projets de loi auront en réalité l’effet inverse. D’ailleurs, la population carcérale n’a fait qu’augmenter corrélativement à l’augmentation de la capacité carcérale.En 2014, la Belgique atteignait son record de 11.769 détenus. Dans le même temps, on réduit le budget alloué à leur entretien. Comment le Ministre l’explique-t-il
Concernant les centres de psychiatrie légaux, la Cour des comptes est d’avis que “les crédits alloués de 10,1 millions d’euros en engagement et de 9,3 millions d’euros en liquidation ne seront probablement pas suffisants pour payer les redevances contractuelles.”
La Cour des comptes attire aussi l’attention sur l’impact de l’entrée en vigueur, le 1er janvier 2016, de la loi du 5 mai 2014, qui prévoit, sur décision judiciaire, des expertises psychiatriques ou psychologiques médico-légales. Le département estime ce coût supplémentaire à 8,1 millions d’euros. Selon la Cour, “au vu du crédit de liquidation de 73,3 millions d’euros prévus en 2016, lequel n’a pas intégré ce coût supplémentaire ni les arriérés existants, la Cour conclut à une sous- évaluation.
Quant aux subsides alloués aux organismes chargés de l’accompagnement thérapeutique des auteurs d’agressions sexuelles étaient passés de 907.000 euros en 2014 à 735.000 euros en 2015. En 2016, ils passeront à 729.000 euros, pour finir à 686.000 euros en 2019.
Cela représente 25% d’économies en une législature, alors que votre accord de gouvernement spécifiait qu’ “une attention particulière sera portée à la répression et au traitement des délinquants sexuels et des auteurs de violence intrafamiliale.”
Selon la clé de répartition entre les trois centres d’appui du pays (40% Anvers, 40% Tournai, 20% Bruxelles), le Centre d’Apui Bruxellois (CAB) devrait fonctionner avec 145.000 euros alors que, selon le Centre, 260.000 euros seraient nécessaires pour couvrir les frais de personnel, réaliser ses missions légales et assumer ses dossiers en constante augmentation.
Une augmentation du budget est dès lors urgente, voire, à défaut, une révision de la clé de répartition voyant à la hausse la contribution allouée au CAB sachant que ce centre gère 25 à 50% de dossiers de plus que les deux autres centres et qu’il est le seul à être subventionné exclusivement par le SPF Justice.
Ce budget est enfin contraire à la note de politique générale qui affirme qu’un plan de santé sera établi de manière à “augmenter la qualité de l’offre générale de soins pour les détenus dans les prisons”, ce plan tenant compte “des besoins spécifiques des groupes cibles, comme les détenus toxicomanes.” Quid des délinquants sexuels?
La crise de l’asile
Alors que la crise de l’asile a mené les centres d’accueil des demandeurs d’asile à saturation, notamment ceux en charge spécifiquement des MENA (Neder-over-Hembeek et Steenokerzeel: 240 places remplies), le budget alloué au service de tutelle des mineurs étrangers non accompagnés passerait de 891.000 euros à 874.000 euros. Sachant que le budget 2014 étant de 1.021.000 euros, ce budget a été réduit en deux ans de près de 13% alors que les besoins se sont multipliés, notamment pour assurer un suivi éducatif et psychologique aux MENA qui ont fui la guerre en Irak ou en Syrie et qui sont partis seuls ou ont perdu leurs parents au cours de leur parcours migratoire.
Cette remarque vaut également pour les subventions accordées aux organismes publics et associations chargées de la tutelle des MENA (Caritas, Croix Rouge…) qui passent elles de 248.000 euros en 2015 à 197.000 euros en 2016!
Elle est d’ailleurs partagée par la Cour des comptes qui souligne que “les crédits globalement octroyés à ce service (…) seront vraisemblablement insuffisants. En effet, suite à l’afflux de migrants et afin de remédier à l’arriéré existant de désignation de tutelle, le conseil des ministres a marqué son accord sur le recrutement de 6 équivalent temps plein (ETP) pour ce service, ainsi que sur l’octroi de moyens supplémentaires nécessaires à l’organisation des tutelles (subventions aux associations, honoraires, émoluments et indemnités des tuteurs, frais de traduction, tests d’âge).”
La montée des radicalismes religieux
La meilleure arme contre les radicalismes est la prévention et l’assistance morale. Le rôle des conseillers en prison, par exemple, est à cet égard fondamental.
La note de politique générale va dans ce sens puisque l’on y affirme que “le Ministre de la Justice contribuera à promouvoir la mobilisation sociale dans la lute contre la radicalisation au travers d’un dialogue intensif avec des responsables des différents cultes.”
Pourtant, le budget alloué à la laïcité organisée, très active au niveau de l’assistance morale en prison, passe de 14,8 millions en 2014 à 11,2 millions en 2015.
Cette situation est critiquée par la Cour des comptes qui estime que “depuis 2010, les crédits alloués pour les rémunérations du personnel non-confessionnel se sont avérés insuffisants. Le déficit estimé atteint 3,4 millions d’euros en 2015. En 2016, les crédits alloués, au montant de 11,2 millions d’euros, sont réduits de 229.000 euros par rapport au budget 2015. Au vu des besoins estimés à 16 millions d’euros, les crédits seront insuffisants, ce qui hypothèque la reconnaissance des trois derniers services locaux d’assistance morale non-confessionnelle. Il était pourtant initialement prévu de remplir le cadre au plus tard en 2008.”
La lutte contre le terrorisme
Alors que le budget de la Sûreté de l’Etat avait bénéficié d’un ajustement budgétaire positif en mars 2015, voilà que son budget est à nouveau rabotté de 48,7 millions à 42,6 millions d’euros. Les économies les plus importantes concernent les dépenses de personnel qui passent de 27,8 millions (budget 2015 ajusté) à 24,4 millions (budget 2016 initial). Cette réduction est assez étonnante vu les engagements du gouvernement à renforcer la lutte contre le terrorisme mais aussi les appels des experts en terrorisme et en services de renseignements à développer les missions de la Sûreté de l’Etat à l’étranger.
La note de politique générale vante en outre les mérites de la circulaire Foreign Terrrorist Fighters alors que celle-ci n’indique aucune méthodologie aux bourgmestres.
La collaboration internationale et le soutien scientifique à la police est en outre primordial dans la lutte contre le terrorisme. Pourtant, la contribution de la Belgique à Interpol passe de 809.163 euros en 2015 à 690.000 euros en 2016. Selon la Cour des comptes, “les crédits seront de nouveau insuffisants : selon le département, Interpol a prévu une augmentation de 3% des contributions, qui atteindraient 54,37 millions d’euros au total. La part de la Belgique est de 1,533% de ce montant, soit 833.492 euros.”
Le soutien au personnel judiciaire
La résorption de l’arriéré judiciaire passe inévitablement par un meilleur soutien financier et logistique au personnel judiciaire.
Or le budget alloué au personnel judiciaire est extrêmement inquiétant puisque, comme le relève la Cour des comptes, “en l’absence d’indication dans les justificatifs, il n’est pas certain que les crédits prévus en 2016 soient suffisants. Les crédits de personnel de l’ordre judiciaire sont par ailleurs limités par la circulaire n° 645 du 12 mai 2015. Celle-ci prévoit, pour 2016, une limite d’engagement de 643,4 millions d’euros pour l’enveloppe de personnel de l’ordre judiciaire, en ce compris les Collèges et la Cour de Cassation.” Dès lors, comment le Ministre compte-t-il rémunérer correctement ce personnel et dans le même temps mettre en place deux magistrats supplémentaires en vue de lutter contre le terrorisme comme annoncé dans sa note de politique générale?
La future prison de Haren en vue de remplacer les prisons de Forest et Saint-Gilles.
L’annonce selon laquelle la construction de la prison de Haren (1190 places) débutera en 2016 si toutes les démarches administratives et procédurales ont été effectuées est étonnante. Olivier Maingain a en effet interrogé la Cour des comptes sur l’état d’avancement du dossier, laquelle lui a répondu qu’aucun contrat n’a été conclu entre la Régie des bâtiments et le consortium privé Cafasso!
L’accès à la justice pour tous
La note de politique générale souligne l’importance d’une justice efficiente, de qualité, mais également accessible.
En 2016, les crédits de liquidation relatifs à l’aide juridique de deuxième ligne et aux prestations Salduz s’élèvent à 78,8 millions.
Selon la Cour des comptes, “cette augmentation de 0,86 million d’euros en 2016 correspond à une indexation, mais il n’est pas certain que ces crédits s’avéreront suffisants lorsque la directive européenne 2013/48/ UE, qui doit être mise en vigueur par les États membres au plus tard le 27 novembre 2016, sera transposée en droit belge.” En effet, cette directive prévoit notamment, pour les personnes visées par un mandat d’arrêt européen, la possibilité de bénéficier d’une assistance juridique tant dans le pays où l’arrestation a lieu que dans celui où le mandat est émis, ainsi que l’accès à un avocat dès le premier stade des interrogatoires de police, et durant toute la procédure pénale. Par ailleurs, le droit d’accès à un avocat, dans le cadre de procédures pénales, sera ouvert aux suspects ou aux personnes poursuivies, qu’ils soient privés de liberté ou non.